Non, l’enfant HPI n’est pas un surdoué. Non, il n’a pas obligatoirement des facilités pour l’école, bien au contraire. Donc, non, l’orientation en fin de troisième qui consiste à choisir entre trois filières pour continuer ses études n’est pas si évidente que ça. Voici pourquoi.
L’orientation scolaire en France fonctionne comme une gare de triage. C’est un système sélectif avec ses critères d’évaluation : les notes, la motivation, le goût de l’effort, etc. Cette sélection demande aux familles de formuler des souhaits, donc d’effectuer un choix pour la suite de la scolarité.
Choisir, c’est renoncer. Renoncer à certaines matières qu’on n’aime pas, certes, mais renoncer aussi à toutes les possibilités qu’on suspecte dans la voie qu’on abandonne. Renoncer, pour un HPI qui sent, au fond de lui, toute l’étendue de son potentiel, ça n’est pas une démarche simple psychologiquement.
Il n’est donc pas surprenant qu’à la question « de quoi as-tu envie ? », un enfant à Haut Potentiel réponde presque sans exception : « je ne sais pas. »
Les enjeux de l’orientation
Pour sortir de cette impasse, revenons rapidement sur les enjeux de l’orientation.
Trente ans passés dans l’Education Nationale à des niveaux de plus en plus élevés dans la responsabilité de l’orientation scolaire ont confirmé cette réalité cynique : la capacité d’accueil des différentes filières a un impact très important sur les décisions d’orientation. Bien entendu, l’enjeu principal reste d’offrir à chaque élève une voie vers un diplôme. Mais les contingences programmatiques du système scolaire sont telles à présent que l’adéquation entre les voeux d’orientation de l’enfant et les possibilités d’y répondre est de plus en plus incertaine. Il faut garder cette réalité à l’esprit quand on entre dans le processus. Elle est très présente chez les personnels scolaires qui décident.
Du côté des familles, l’enjeu est simple et complexe à la fois : assurer un avenir vivable pour leur enfant dans un monde de plus en plus précaire et diminuer les risques de décrochage scolaire avant l’acquisition d’un premier diplôme. En 2014, j’ai étudié les critères de choix d’orientation chez plusieurs familles de niveau social et de parcours scolaires différents. Conclusion : les deux facteurs principaux qui guident les souhaits pour passer le barrage de l’orientation sont le niveau culturel de la famille et le passé scolaire de l’enfant.

Pourquoi ça pose des difficultés aux HPI ?
Au fur et à mesure que la pression de performance augmente dans la scolarité, l’enfant à Haut Potentiel s’expose à un risque grandissant de burn-out scolaire. J’ai abordé ce sujet dans un article précédent. Ça reste à mesurer mais le dégoût et la colère ont forcément à voir avec l’envie de poursuivre des études longues. De fait, un enfant qui présente des symptômes de burn-out voudra mettre fin à ses études plus rapidement.
Autre source de difficulté : le niveau scolaire. Les enfants HPI peuvent évidemment réussir scolairement. Les études sociologiques à ce sujet ne manquent pas. Sauf cas particulier d’un projet personnel très construit, la question d’une continuité d’étude hors filière générale se pose alors rarement. La difficulté se fera jour davantage pour l’orientation post-bac.
Par contre, pour un enfant HPI qui est en sous-performance ou en véritable décrochage scolaire, l’orientation est un vrai casse-tête pour les familles. Et pour l’établissement scolaire. Dans la majorité des cas, l’équipe éducative se dirigera vers des études courtes. De nombreux témoignages lors d’accompagnements d’adultes montrent que ce choix a des conséquences lourdes sur le parcours de vie. Bien sûr, un adulte à Haut Potentiel qui mobilise réellement ses aptitudes d’apprentissage pourra reprendre des études, souvent brillamment, pour réaliser des réorientations professionnelles radicales. Mais que de temps perdu. Psychologiquement, on ne se relève jamais complètement d’une orientation par défaut.
Quelle stratégie adopter ?
L’orientation scolaire est affaire d’adulte avant tout. Ce n’est pas l’enfant, aussi lucide et volontaire soit-il, qui a les clefs de compréhension de ce qui se joue. Le collège appuie sa recommandation d’orientation sur la situation en troisième avec un rapide regard sur l’année de quatrième si nécessaire. De côté des parents HPI, je propose de faire le bilan du parcours scolaire complet (dès la maternelle) pour dessiner le portrait de leur enfant. Comment a-t-il vécu les années compliquées ? Pourquoi ? Comment a-t-il mis en œuvre ses capacités, dans quelles matières, dans quel type de savoir ?
Quand l’enfant répond qu’il ne sait pas ce qu’il veut « faire plus tard », il avoue surtout ne pas y avoir pensé précisément. Mais il a déjà des passions, des intérêts, des talents, des goûts prononcés. Et si on se servait de ces traits de personnalité et de caractère pour l’aider à se saisir de la question ? Non pour le destiner à un domaine professionnel ou à un métier, mais pour lui ouvrir les yeux sur le type d’activité qu’il aime faire et qu’il pourrait consolider pour la suite de la scolarité.
Enfin, l’orientation est un moment délicat pour le collège. Il faut l’admettre, ce n’est pas une tâche aisée. Les non-dits, les représentations, les conflits anciens, les erreurs de jugement de part et d’autre sont très souvent à l’origine d’une communication dégradée entre l’établissement et les familles. Il faut se parler, qu’on le veuille ou non. Encore plus quand son enfant est atypique. Sans forcément aborder ouvertement la question du Haut Potentiel, il est primordial d’être présent dans le suivi par l’école avec des rendez-vous réguliers, avec une parole assumée sur les points forts et les points faibles de l’enfant, et une volonté de faire les choses ensemble.