Dans la série des mots à la mode, « inclusion » semble avoir pris une place majeure dans notre compréhension des liens sociaux et desorganisations humaines. Mis à l’honneur par le ministre de l’éducation nationale ces dernières années, ce terme n’est pas un nouveau né dans le paysage linguistique. Si l’expression « inclusion scolaire » connaît un envol spectaculaire au début des années 2000, c’est véritablement en 1945 que ce mot né au XIXè siècle se répand dans la littérature française.
Tentatives de définitions
Un article qui veut être pris au sérieux en France se doit d’en passer par un minimum de définitions. Je cède donc à l’usage pour ne pas vous perdre en cours de route au seul prétexte que je ne fournis pas de définition à ma réflexion. Mais, comme souvent avec les concepts, à défaut d’apporter un véritable éclairage, la définition n’apporte qu’une série de questions supplémentaires.
Partons sur la définition du Larousse : « Action d’inclure quelque chose dans un tout, un ensemble ; état de quelque chose qui est inclus dans autre chose. » On rebondit donc vers la définition de « inclure » : « Introduire quelque chose dans autre chose; comprendre quelque chose, le contenir en soi. » Pas mieux.
Une définition ambigüe
La difficulté de l’explicitation tient en fait dans la nature de ce qu’on inclut : de l’humain. Nous avons besoin de comprendre plutôt dans quelle mesure on peut inclure des êtres humains dans un groupe pour vivre ensemble. Le schéma suivant circule pour expliquer l’inclusion en comparaison avec les formes précédentes de vie en collectivité. Car il s’agit bien de ça, en fait.
D’emblée, nous comprenons en quoi l’inclusion représente un nouveau stade. Les sociétés humaines ont pratiqués ces divers modes de vivre ensemble. L’exclusion a longtemps été la solution utilisée pour se protéger des « éléments » perturbateurs ou différents. Notre époque la pratique encore, notamment dans le système carcéral. La séparation fait penser à la « ségrégation » : apartheid, xénophobie, tous les motifs de mise en ghetto.
L’intégration porte en elle une volonté de vivre ensemble mais nous voyons que les différences sont davantage « tolérées » que prises en compte. C’est sur ce dernier point que le dernier schéma est différent. L’inclusion semble ne plus tracer de limite entre les individus du groupe. C’est évidemment une belle ambition humaniste dont un signe fort me semble la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La société cherche à présent à être « inclusive » mais avons-nous bien compris ce que ça signifie ?
L’ambition d’une « société inclusive »
A ce stade de mon article, l’immensité des études sociologiques, scientifiques et philosophiques s’ouvre à nous. Ce blog n’est pas destiné à discuter in extenso des concepts sociologiques. Dans une visée de compréhension simplifiée, je vous propose donc de balayer quelques idées dans le domaine.
« Une société inclusive, c’est une société sans privilèges. »
Charles Gardou, anthropologue, interview dans Faire Face n°716 – février 2013
Il est donc bien question, pour commencer, d’une société plus égalitaire et plus équitable. Une société inclusive est un organisation sociale où chacun a le droit de bénéficier de l’ensemble des biens sociaux. Rêve humaniste issu des Lumières en France, l’égalité sociale est une utopie ultime, ne serait-ce que par les très nombreuses disparités et inégalités que la condition sociale produit dans une société capitaliste. Il faut également écarter l’idée d’un collectivisme général qui, l’Histoire nous l’a montré, est une reproduction d’inégalités dans un cadre différent.
Inclure n’est pas transformer pour conformer
L’idée forte de l’inclusion me semble principalement celle-ci : chacun est un élément du tout et ses particularités sont autant de constituants de l’ensemble. Nous sommes encore dans une société de l’intégration où nous sommes regroupés en communautés par nos similitudes, une juxtaposition de situations diverses où une majorité définit mollement une normalité par une apparente absence de particularité.
« La notion d’inclusion nous engage par conséquent à voir autrement ce que c’est d’être pleinement humain, à se représenter autrement la place des personnes handicapées dans la société, et à ne pas vouloir réparer les personnes avec des différences corporelles pour les faire rejoindre à tout prix le cercle fermé de la normalité qu’on a soi-même préalablement définie. »
Jean-Yves Le Capitaine, L’inclusion n’est pas un plus d’intégration, Empan n°89 (2013/1)
Inclure, ce n’est pas transformer chacun pour qu’il corresponde à une norme du groupe mais bien élargir la définition de la norme pour qu’elle englobe les spécificités de tous, au-delà des différences. L’inclusion devient alors étroitement liée à la notion de diversité. Une société inclusive est une organisation sociale où chacun prend conscience de la diversité des membres qui la composent et admettent implicitement que chacun enrichit l’ensemble par ses spécificités. Nous devons dépasser le stade où la différence est vue sous l’angle déficitaire pour ouvrir notre vision de l’autre à travers le prisme enrichissant. La diversité est une richesse. L’inclusion est son utilisation au profit de tous.
Le rêve d’une « école inclusive »
Le ministre de l’Education Nationale affirmait qu’à partir de la rentrée 2019, l’école serait plus inclusive, entre autres, grâce à davantage de postes d’Accompagnants d’Elèves en Situation de Handicap (A.E.S.H) et la création de Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés. Ces annonces laissaient penser que l’institution passaient de l’intégration scolaire à l’école inclusive. Ce changement de paradigme n’est pas anodin. En effet, qui dit « intégration » signifie implicitement qu’il appartient à l’élève de faire le nécessaire pour rejoindre le norme. Avec l’inclusion, chaque enfant a sa place à l’école quelles que soient ses caractéristiques.
Le changement d’état d’esprit impose à chaque établissement de fournir les moyens pour s’adapter à la réalité de chaque élève. Nous savons à quel point ce fut déjà compliqué pour installer une prise en compte de la difficulté scolaire (en dehors de tout handicap ou trouble cognitif) au sein d’une institution pétrie de contradictions et d’inerties multiples. Comme le souligne Jean-Yves Le Capitaine (voir référence en bas de billet), « la révolution de l’inclusion bouscule fondamentalement le fonctionnement de l’école actuelle.» Au-delà de la question des moyens humains pour accompagner tous les profils à besoins particuliers, je confirme que c’est une véritable transformation intellectuelle que doit effectuer l’ensemble du système éducatif et des différents corps qui le composent.
Ne soyons pas pessimistes inutilement : l’école inclusive est certainement le format éducatif du XXIè siècle. C’est un rêve magnifique, pierre de socle de la construction d’une société inclusive. La question qui se pose est de savoir si c’est l’attente d’un monde plus égalitaire et équitable qui forcera l’école à s’adapter ou l’inverse.
L’inclusion chez incluZive
L’anthropologue Charles Gardou met en avant quatre leviers pour une société plus inclusive : l’accueil inconditionnel dans les structures scolaires dès le plus jeune âge, dispenser de l’information sur le handicap (et j’élargis à toutes les formes de profils atypiques : HPI, TDAH, autisme, “dys”, etc.) pour dépasser les discriminations, agir sur les cultures professionnelles par une formation initial à la hauteur de l’enjeu et engager les médias dans la diffusion à grande échelle.
Avec incluZive, j’ai fait le choix de participer à l’élaboration d’une société de l’inclusion par une action sur les trois premiers leviers : participer à l’amélioration de l’accueil scolaire des profils atypiques, diffuser de l’information auprès de lecteurs et de clients et accompagner les adultes dans leur quotidien professionnel pour faire bouger les curseurs. Je laisse pour l’instant l’action sur les grands médias à des influenceurs.
Avec ma formation de conseiller principal d’éducation, j’ai vu monter les besoins en accompagnement différenciés pour les divers profils d’élèves. Les outils existent, les volontés sont présentes mais l’institution a encore besoin de temps pour prendre conscience du chemin à parcourir et des étapes à franchir. C’est à travers incluZive que j’ai à présent choisi de m’investir pour l’inclusion de tous les enfants dans l’école, à commencer par les enfants doués.
La première étape est la création d’une intelligence collective autour de l’inclusion. Si vous avez lu ce billet jusqu’au bout, vous en faites maintenant partie. Félicitations et courage à nous tous !
Références utilisées pour ce billet :
• Extrait de l’interview de Charles Gardou sur le site “Promotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs »
• L’inclusion scolaire et ses avantages, association du Nouveau-Brunswick pour l’intégration communautaire
• L’inclusion n’est pas un plus d’intégration : l’exemple des jeunes sourds, Jean-Yves le Capitaine, Empan 2013/1 (n°89)