À l’adolescence, le rejet ne se vit plus comme une surprise. Il devient une hypothèse permanente, une donnée d’arrière-plan dans le rapport aux autres. L’adolescent à haut potentiel a souvent déjà vécu l’exclusion, la moquerie ou l’incompréhension dans l’enfance. À ce stade, il ne cherche plus seulement à être accepté : il cherche à éviter d’être visible, ou à se fondre dans le paysage social sans être perçu comme “différent”.
Cette période marque souvent un tournant dans la structuration du faux self, ou plus exactement dans sa consolidation. Ce mécanisme, décrit par Winnicott, prend chez les HPI une forme particulière : ce n’est pas un masque choisi pour plaire, c’est une identité de substitution, construite pour ne plus subir.
La double menace : rejet et disqualification
Ce que redoute l’adolescent HPI, ce n’est pas tant de ne pas être aimé, que d’être disqualifié. C’est d’être perçu comme trop intense, trop bizarre, trop exigeant, trop fragile, trop peu conforme. Pour éviter cette mise en échec relationnelle, il développe des stratégies de sur-adaptation :
- Il normalise ses centres d’intérêt.
- Il imite les postures sociales attendues.
- Il régule son langage, son débit, son enthousiasme.
- Il prend sur lui, souvent jusqu’à l’épuisement, pour “tenir” une place dans le groupe.
Certains vont jusqu’à créer un personnage : détaché, drôle, peu impliqué, ou au contraire charismatique et hyper performant. Ce personnage fonctionne parfois très bien socialement… mais il ne nourrit pas. Il protège, il épuise, et il isole intérieurement.
Choisir de disparaître : l’autre versant du camouflage
Quand le camouflage devient trop coûteux ou trop inefficace, certains adolescents HPI choisissent une autre voie : la solitude volontaire. Ils réduisent leurs interactions, s’isolent dans les couloirs, évitent les groupes, ou se replient dans des mondes intérieurs riches mais déconnectés.
Ce retrait n’est pas un simple besoin de calme. C’est une tentative de se préserver. L’adolescent comprend, confusément ou clairement, qu’il ne pourra pas être lui-même sans s’exposer. Alors il préfère s’absenter. Ne pas jouer. Ne pas participer. Ne pas tenter.
Ce retrait peut apparaître comme du désintérêt ou du désengagement, mais il est en réalité une réponse de protection. Il signe la peur du rejet, mais aussi une blessure déjà installée : celle d’avoir été vu, un jour, pour ce qu’il était — et que cela n’ait pas été accueilli.
Une perte progressive d’authenticité

Ce processus, qu’il prenne la forme du camouflage ou du retrait, a un effet commun : l’affaiblissement du vrai self. Plus l’adolescent HPI s’efface, plus il doute de sa propre valeur. Et plus il doute, plus il renforce l’interface qu’il présente aux autres.
Ce n’est pas une manipulation : c’est une stratégie de survie identitaire.
Avec le temps, ce faux self peut devenir une seconde peau. Il permet d’avancer, mais au prix d’une forme d’anesthésie émotionnelle. La joie devient prudente. L’enthousiasme se filtre. La pensée se censure. Et les relations, même réussies, sonnent parfois creux.
Guillaume, aujourd’hui âgé de 20 ans, incarne les conséquences possibles d’une telle dérive. Diagnostiqué HPI sur un WISC hétérogène — mais réalisé dans une période de grande fragilité psychique —, il a longtemps présenté un profil brillant, vif, engagé, presque trop en avance. Puis il s’est progressivement éteint. Ses parents décrivent une transition progressive vers le retrait, l’évitement, la fatigue de devoir s’ajuster sans cesse. En terminale professionnelle, après un stage en chimie de l’eau, il a connu un effondrement brutal : burn-out scolaire, rupture de l’élan vital, arrêt du langage.
Aujourd’hui, Guillaume est mutique depuis près d’un an. Il communique uniquement par tablette. Il suit un traitement antidépresseur et un accompagnement neuropsychologique. Il a exprimé que cette perte de la parole n’était pas volontaire : elle s’est imposée à lui, comme une protection, ou un repli inconscient. Il dit aussi sa peur de la solitude, de ne jamais pouvoir être pleinement lui sans être rejeté. Et pourtant, il garde le sourire. Il écoute. Il perçoit tout. Lors d’une séance, l’évocation du faux self et de la possibilité d’un vrai self a semblé résonner en lui. Peut-être une première fêlure dans l’armure.
Guillaume a connu un parcours thérapeutique dense, souvent infructueux. Il ne veut plus “parler à des spécialistes”. Ses parents, tous deux dans l’Éducation nationale, cherchent à comprendre, à aider. Ils ont été blessés par le non-respect du PAP de leur fils, par l’inaction de certaines équipes pédagogiques. Aujourd’hui, leur rôle est de préserver ce lien ténu qui subsiste : faire confiance à ce que Guillaume ressent, soutenir sans forcer, et accepter que le retour à soi soit un chemin lent, souvent invisible, mais possible.
Et après ?
Chez certains HPI, ce faux self s’effondrera plus tard, dans un burn-out, une crise existentielle, une dépression sourde ou une rupture brutale. Chez d’autres, il restera actif en permanence, rendant difficile la construction d’un lien durable, sincère et équilibré avec soi et les autres.
Mais il arrive aussi que cette crise identitaire adolescente soit le début d’un réveil. Une prise de conscience. Un refus de continuer à se tordre pour être accepté. Et une recherche, parfois chaotique, d’authenticité.
À suivre…
Dans le prochain article, nous plongerons au cœur du noyau familial : là où le rejet peut surgir sans hostilité, mais avec une force blessante, précisément parce qu’il vient des siens.
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