On imagine souvent que la famille est un refuge. Un lieu qui répare ce que l’école ou les pairs n’ont pas su accueillir. Mais pour certains adolescents HPI, la tension ne vient pas de l’extérieur. Elle commence à la maison.
Pas par manque d’amour, ni par rejet conscient. Mais par désajustement, par décalage, par fatigue. Et ce décalage peut, à force, devenir une forme de rejet implicite, silencieux, douloureux.
Un fonctionnement mal compris, même sous son propre toit
Un adolescent HPI est rarement neutre dans une dynamique familiale. Il dérange certains équilibres implicites. Il interroge les normes éducatives. Il détecte les contradictions. Il a besoin de cohérence, de vérité, de régularité… dans un système humain qui, par nature, est traversé d’émotions, d’héritages, d’incohérences.
Dans certaines familles, l’ado HPI devient une figure à part : celui ou celle qui prend trop de place, qu’on ne comprend pas et pour qui rien ne semble simple. Parfois, c’est le membre de la famille dont on ne parle qu’en termes de problématique ou d’inquiétude.
Sa place devient figée. Ses besoins déroutent. Son intensité fatigue. Et sans que personne ne le décide, il ou elle glisse vers une position marginale au sein même de son foyer.
Ce qu’on observe chez l’ado HPI… et qu’on interprète souvent mal
L’ado HPI en déséquilibre familial ne crie pas toujours son mal-être. Il se retire, doucement, se fait discret, mais sarcastique. Il répond peu, mais avec des pointes d’ironie qui piquent. Il réduit la parole émotionnelle à des réponses automatiques ou à des pics intenses d’émotion inattendus. Il n’évoque plus ses projets, ne propose plus rien, ne s’investit plus dans les temps communs.
Il n’y a pas de conflit ouvert. Mais il n’y a plus de chaleur non plus.
On dit qu’il est dans sa bulle, qu’il est indépendant. Ou bien qu’il est provocateur, insolent, compliqué. Mais on ne voit pas qu’il a abandonné l’idée d’être entendu.

Ce qui se joue, en parallèle, chez les parents
Les parents, eux aussi, sont souvent en tension. Mais une tension floue, difficile à nommer. Il peut y avoir de la culpabilité : « Je ne comprends pas ce qu’il attend de moi. » De l’ambivalence : « Je veux l’aider, mais je suis à bout. » Du déni : « Il va bien, il est juste comme ça. » Ou un besoin de validation dans son rôle : « J’ai tout essayé, qu’est-ce que je fais de mal ? » Parce que la parentalité atypique bouscule aussi beaucoup le rôle qu’on s’était imaginé avoir, souvent inconsciemment.
Parfois, c’est une confusion des rôles : le parent devient confident, thérapeute, gestionnaire du trouble supposé. Parfois encore, c’est le jeune qui, à force d’intelligence et d’intuition, devient le régulateur émotionnel de la maison. On l’appelle pour calmer les conflits. On s’appuie sur lui pour la logistique. On oublie que derrière ses capacités, il reste un adolescent.
Et quand la famille est marquée par des tensions anciennes — un divorce difficile, des conflits larvés, des non-dits générationnels — l’enfant HPI devient malgré lui un révélateur. Un miroir trop lucide ou, pire, un exutoire.
Revenir à l’essentiel : le lien avant la solution
Ce n’est pas une éducation parfaite qui permet à un ado HPI de respirer.
C’est un espace où il ou elle peut cesser de se contenir, peut dire ce qu’il ressent sans être corrigé. Où il peut exister sans performer.
Pour cela, certains ajustements sont possibles — simples, mais profonds.
D’abord, refonder un espace de parole. Pas sous forme de réunion familiale, mais dans la quotidienneté. Un moment sans écran. Une marche. Un trajet en voiture. Une question posée sans attendre de bonne réponse.
Ensuite, sortir des injonctions contradictoires :
- « Sois autonome, mais demande quand même. »
- « Sois simple, mais exprime-toi mieux. »
- « Sois discret, mais dis quand ça ne va pas. »
Ces messages ne sont pas malveillants, mais ils troublent. Mieux vaut nommer clairement ce qu’on attend, et entendre ce que l’autre vit. Même si c’est flou. Même si ça dérange.
Enfin, revaloriser les rôles. Un adolescent n’est pas là pour tenir l’équilibre émotionnel d’un foyer. Un parent n’a pas à devenir expert du HPI. Mais chacun peut retrouver une place respirable.
Et si le problème n’était pas l’ado ?
Dans les familles que j’accompagne, les parents demandent presque toujours « Qu’est-ce qu’il a ? » alors que ce n’est pas la question centrale. Le véritable sujet est plutôt : « Qu’est-ce qui se joue, sans s’en rendre compte ? »
L’ado HPI n’est pas dysfonctionnel. Il est souvent en réaction à une logique systémique. Et quand le système bouge — même un peu — il bouge avec.
Cet article ne vise évidemment pas à blâmer les parents. Il propose un déplacement du regard : du symptôme vers la dynamique, du comportement visible vers les tensions invisibles, de la correction vers la relation.
Parce que dans la plupart des cas, ce n’est pas l’amour qui manque. C’est la compréhension partagée de ce qui se joue — et de ce qui peut se transformer, conjointement, ado et parents.