Cet article fait partie d’une série sur la blessure de rejet chez les personnes HPI.
Premier article : « Série — La blessure de rejet chez les HPI : comprendre pour construire«
Chez les enfants à haut potentiel, la conscience d’être différent et de subir le rejet ne naît pas d’un raisonnement. Elle naît d’un ressenti. Et ce ressenti surgit très tôt.
Il ne vient pas du regard bienveillant de l’adulte, mais de celui – souvent silencieux ou désapprobateur – du groupe. Dès la maternelle, et plus encore à l’entrée en primaire, certains enfants perçoivent confusément qu’ils “ne rentrent pas dans le moule”. Ce peut être parce qu’ils posent trop de questions, parce qu’ils savent déjà lire, parce qu’ils ne tiennent pas en place, ou qu’ils pleurent facilement. Parfois, c’est leur simple présence, leur façon d’habiter l’espace ou de penser à voix haute, qui déclenche l’agacement ou la mise à distance.
La différence dérange, même chez les enfants.
Un rejet qui ne dit pas son nom
Ce rejet n’est pas toujours verbal. Il peut se traduire par :
- des ricanements discrets,
- des jeux qui excluent l’enfant sans explication,
- une forme de solitude en récréation,
- des remarques apparemment anodines : “tu crois que t’es plus malin ?”, “arrête de faire ton intéressant”, “tu parles trop”…
Ce rejet, parce qu’il n’est pas assumé, devient difficile à identifier et à nommer. L’enfant ne sait pas encore s’en défendre. Alors il intériorise : c’est qu’il a dû faire quelque chose de mal. Ou pire : il est quelque chose de mal.
Les premières réponses adaptatives : début du camouflage
Pour continuer à appartenir, certains enfants HPI commencent à se réguler de manière invisible. Ils se taisent quand ils savent déjà, évitent de lever la main, modifient leur manière de parler, atténuent leur enthousiasme, ou se fondent dans le groupe en adoptant des comportements attendus. Ce sont les premiers contours d’un “personnage social” : une version atténuée d’eux-mêmes, calibrée pour ne pas faire de vagues.
C’est dans ce contexte qu’émerge ce que je désigne comme un self contraint-réactif : une structure psychique construite pour répondre à la pression du groupe, permettant de maintenir un lien social minimal au prix d’un effacement progressif du vrai soi. Il ne s’agit pas d’un simple camouflage passager, mais d’un mode de fonctionnement intériorisé, souvent durable.
Parmi les jeunes HPI que j’accompagne, Martin, 9 ans, en est une illustration poignante. Dès la maternelle, il a subi des moqueries, des mises à l’écart répétées, une forme de harcèlement silencieux mais constant. À son arrivée à l’école primaire, il a senti qu’il devait se rendre plus “acceptable” aux yeux des autres. Il a appris à divertir ses camarades par des clowneries, tout en gommant les signes de sa maturité affective et intellectuelle. A la maison également, quand il ne sait pas exprimer ses ressentis, Martin entre dans un spectacle de grimaces à la fois pour extérioriser la tension affective de son émotion mais aussi pour capter l’attention, comme un appel à l’aide malhabile.
Le camouflage qui aide Martin a trouver un modus vivendi a donc un prix. Il souffre aujourd’hui d’une difficulté patente à exprimer sa personnalité véritable et d’une estime de soi très fragile. Il a notamment développé une peur aiguë de l’échec et une frustration intense face à l’imperfection. Le moindre écart par rapport à ce qu’il s’était fixé provoque chez lui un effondrement intérieur. Il dit qu’il est “nul” quand il n’atteint pas son objectif, quelle que soit la difficulté réelle de la tâche.
Dans son cas, on voit clairement que le self contraint-réactif — conçu pour le protéger d’un nouveau rejet — limite aussi sa capacité à construire une estime de soi authentique et stable. L’adaptation sociale, au lieu de le renforcer, finit par creuser une distance entre ce qu’il est profondément et ce qu’il autorise à montrer.
Le rôle de l’école dans cette dynamique

L’école, malgré ses bonnes intentions, agit parfois comme un accélérateur de ce mécanisme. Elle tente de faire entrer l’enfant dans le cadre sans toujours percevoir que ce n’est pas une question d’indiscipline mais de fonctionnement différent. Elle minimise parfois les signaux de tristesse ou d’isolement, interprétés comme un simple manque d’effort ou un besoin de socialisation “comme les autres”.
Et dans son organisation même, elle valorise la conformité — la régularité, la norme, la moyenne — au détriment de la singularité. Certains enseignants comprennent, d’autres non. Et la réponse institutionnelle, souvent lente ou inadaptée, ne fait que renforcer ce que l’enfant ressent déjà : qu’il est de trop.
Et ensuite ?
Lorsque ce self contraint-réactif s’installe dès le primaire, il peut devenir une base identitaire de survie sociale. L’enfant s’y accroche, parce qu’il pense que c’est le prix à payer pour être accepté. Mais il apprend aussi que pour être aimé, il doit disparaître un peu.
C’est une blessure sourde, qui ne se voit pas toujours. Mais qui marque profondément la trajectoire du HPI, jusqu’à l’âge adulte, si on ne la reconnaît pas et si on n’entame pas se réparation.
À suivre…
–> Article suivant : « Camouflage ou solitude : l’adolescence HPI face au rejet social«
Nous y explorons ce qui se joue à l’adolescence : lorsque le camouflage devient stratégie identitaire, et que le rejet peut conduire à l’isolement ou à la rupture intérieure.